jeudi 4 décembre 2014

Espace urbain, sexe masculin

À Bordeaux comme dans toute l’Europe, de nombreux équipements sportifs d’accès libre conçus pour les jeunes rappellent que les garçons sont les usagers majoritaires de la ville. Dans le même temps, on conseille aux jeunes femmes de ne pas faire du jogging dans des endroits isolés, d’être sur leurs gardes dans les transports en commun ou d’éviter certains quartiers. 

photo: Marie-Louise PENIN

Plusieurs études réalisées par le laboratoire Adess CNRS1 montrent la continuité de ces inégalités spatiales et comment elles sont parfois implicitement construites par les modes de gestion d’une ville faite « par et pour les hommes ». 

La première [étude] montre que les filles « décrochent » à partir de la 6ème des activités de loisirs sportif, culturel ou généraliste proposés par les municipalités ou les associations, tandis que se met en place une offre de loisirs destinée aux garçons : skateparks et citystades, lieux de répétition des musiques actuelles, activités et événements liés aux cultures urbaines. 

La deuxième étude examine plusieurs quartiers de la métropole bordelaise, passés au crible d'une micro-géographie « genrée ». Le quai de Paludate, par exemple, est un quartier de fête, fréquenté par les étudiantes. Elles aiment l’ambiance du quartier mais en craignent les abords et calculent leurs déplacements par peur des agressions. Autre exemple: celui d’un parc public, au coeur d’une commune de l’agglomération. Le choix de ne pas fermer le parc la nuit et de renforcer la présence des associations et des services à la population dans les bâtiments du parc a facilité sa fréquentation et densifié les circulations, devenues de ce fait mixtes et intergénérationnelles. Le sentiment d’insécurité des usagers est faible, y compris chez les femmes, et même la nuit, sauf sur les polarités où s’affirment des groupes de garçons : le skatepark, le gymnase, les lieux de répétition des groupes de rock et les parkings attenants qui focalisent l’hégémonie de groupes [de garçons] qui y font régner leur loi. 

La troisième étude montre que ces inégalités se retrouvent dans le mode de gestion de la ville. Ainsi, la présence des femmes aux postes-clés est faible, qu’il s’agisse des élus ou des personnes qui pensent et construisent la ville de demain : les architectes, urbanistes, directeurs des services d’équipement, concepteurs des programmes urbains sont presque exclusivement des hommes. 

La participation citoyenne (conseils de quartiers, enquêtes publiques ou opérations de concertation) est largement dominée par les hommes. Des « marches exploratoires» de femmes, organisées dans l’agglomération, permettent de faire connaître une autre vision de la ville. 

D’autres études menées par le laboratoire Adess interrogent les « bonnes » pratiques de la ville durable sous l’angle du genre. La pratique du vélo est majoritairement masculine (60%, et jusqu’à 70% aux heures d’embauche, 80% quand il pleut ou la nuit). D’autres modes de déplacement, tels que les transports en commun (inquiétude la nuit), la marche (harcèlement) ou le covoiturage (peu pratique quand on cumule un emploi et la majeure partie des charges familiales) révèlent les mêmes inégalités. 

Il est courant d’entendre dire que les équipements sportifs sont faits pour tous et qu’il ne tient qu’aux femmes de s’en emparer (lorsqu’il y a 40 000 hommes dans un stade, pourquoi sont-elles si peu nombreuses à assister au match ?). On pense de même qu’il est de la responsabilité des femmes de s’adapter à la ville, et non aux nouveaux aménagements et usages prescrits par la municipalité de s’interroger sur les discriminations qu’ils provoquent. 

Le constat est pourtant le suivant : les femmes ont moins d’emprise sur la ville que les hommes, ce phénomène n’est jamais pris en compte et les innovations urbaines ne compensent pas, loin s’en faut, ces inégalités. L’objectif d’une ville pour tous passe donc par une participation accrue des femmes à la conception de la ville. A ce jeu, tout le monde est gagnant: l’égalité femme homme dans l’espace public est, dans toutes les villes du monde, une condition essentielle à l’amélioration des ambiances urbaines.

YVES RAIBAUD
Maître de Conférences HDR
IUT Michel de Montaigne Bordeaux, laboratoire Adess CNRS
y.raibaud@ades.cnrs.fr